الخميس، 17 يونيو 2010

Fatima Tabaamrante

Fatima Tabaamrante
Fatima Tabaamrant n'est pas une chanteuse comme les autres : en peu de temps, elle est devenue une véritable star grâce à sa poésie unique et à son courage. Portrait d'une femme, qui a su briser les tabous pour défendre l'identité amazighe.

Il suffit de demander à n'importe quel berbérophone qui est, selon lui, le plus grand artiste amazigh actuel. Illico, il vous répondra Fatima Tabaamrant (de son vrai nom Fatima Chahou). Sa musique, son chant et surtout sa poésie ont séduit un vaste public au Maroc comme à l'étranger, en Belgique, en France ou aux Pays-Bas. Pas une maison chleuh qui ne possède un de ses nombreux albums (plus d'une quarantaine au total). Ses cassettes se vendent en moyenne en trois mois à 160 000 exemplaires. Depuis plus de quinze ans, elle se produit dans tous les festivals nationaux dédiés à l'art amazigh et dans les salles de Paris, Milan, Bruxelles ou Amsterdam.

Sur les pas de Damsiri

Les raisons d'un tel succès ? Tabaamrant est passée maître dans l'art de jouer avec les vers, les métaphores. Avec une particularité supplémentaire ? Ahmed Assid, chercheur à l'IRCAM est catégorique “Elle est différente, oui parce qu'elle est poétesse. Les autres sont des chanteuses mais qui chantent la poésie des autres. Donc Tabamaarant est aujourd'hui la seule, je dis bien la seule, chanteuse qui soit bel et bien l'auteur de ses poèmes”, ce qui, à n'en pas douter, est tout à fait exceptionnel.
Fatima Tabaamrant, ce n'est pas que ça, c'est aussi une femme dotée d'un courage hors norme, nécessaire pour aller a contrario des thèmes habituels chantés par les autres chanteuses. L'amour, par exemple. Elle le prouve avec ces paroles “Imma amarg llzubb irzmi yanz” (“La poésie lyrique m'a fatiguée”), “Idda nit ayks lhimma islz in” (“elle a dévalorisé les Chleuhs”). Ses thèmes de prédilection ? Chômage des jeunes, corruption, conservation des traditions mais le fil d'ariane de ses morceaux est l'identité amazighe, comme pouvait le faire le grand poète, Mohamed Damsiri, en son temps. “Pour elle, le modèle qu'elle a suivi, c'est lui (…). C'était quelqu'un qui avait une politique très forte et engagée, qui traitait des problèmes dont on ne discute pas d'habitude. Il est mort en 1989 et c'était presque le début pour Tabaamrant. C'est comme si elle a pris le relais de ce poète” précise Assid. Ses poèmes semblent la catharsis des souffrances vécues durant les vingt premières années de sa vie.

Une enfance douloureuse

Née à Id Naser, non loin de Tiznit, en 1962, elle vit des premières années chaotiques à la suite de la mort de sa mère, alors qu'elle n'a que trois ans. Choc qu'elle exorcisera vingt- trois ans plus tard dans une chanson : “Makm yaghme makm issalam” (“Qu'est-ce que tu as, pourquoi pleures-tu ?”). Dès lors, elle rejoint son père et sa belle- mère. Dans ce nouveau foyer elle ne recevra que brimades et sévices. “Un jour, j'avais refusé de faire les travaux quotidiens. La femme de mon père m'a alors attaché les pieds à une corde et m'a suspendue à un arbre, la tête en bas, toute la journée jusqu'à que j'accepte de nouveau de travailler”, se rappelle-t-elle amèrement. Afin de se débarrasser de la jeune fille qu'ils estiment encombrante, son père n'hésite pas, en 1979, à la donner en mariage à un homme plus âgé qu'elle. Elle s'enfuit au bout d'un mois, revient dans sa famille mais est de nouveau rejetée. Ces expériences forgeront à jamais son caractère et sa détermination à se battre.

Des débuts prometteurs

On est en 1981. Par chance, Tabaamrant est accueillie à Tiznit par une femme qui la confie aussitôt à une amie habitant Inezgane (à 10 km d'Agadir). Même si elle ne s'occupe que de l'entretien de la maison, la jeune femme, alors âgée de 19 ans, commence à s'épanouir surtout qu'elle passe du temps à discuter avec des voisines danseuses dans un groupe. Secrètement, au fond d'elle, elle rêve d'être chanteuse. Ce qu'elle tait aussi, c'est sa passion pour les poèmes : elle en écrit depuis l'âge de 13 ans. La bonne fortune, pas vraiment tendre avec elle jusqu'ici, vient pour une fois frapper à sa porte. L'une des danseuses se produisant habituellement avec le raïss Jamaâ Hamidi, se voit interdire par son mari de participer à un concert à Agadir. “Pourquoi pas la jeune Fatima pour la remplacer ?”, propose l'une des voisines. L'année 1983 marque ses premiers pas sur scène, monde qu'elle ne quittera plus désormais. En mars, lors de la fête du trône, elle interprète ses propres chansons pour la première fois devant un public, ce qu'elle avait toujours refusé de faire car “j'avais peur qu'on me vole mes morceaux” dit-elle en éclatant de rire. A force de persuasion, elle finit par se faire remarquer. Le grand raïss Mohamed Belfkhikh décide de la prendre sous son aile. En 1985, elle enregistre avec lui son premier album dans lequel on trouve cinq poèmes de sa composition ainsi qu'un morceau écrit par lui pour elle. Toujours accompagnée de "Belfkhikh", la raïssa qu'elle est devenue, poursuit son chemin alternant, sur chaque album, des compositions du raïss et les siennes.

Une star est née

Fin 1991, elle se dit que le temps pour elle est venu de se passer de son mentor. Elle s'entoure d'une équipe et travaille pour un studio. Les associations amazighes ne sont pas en reste. En effet, selon Assid “le mouvement amazigh compte beaucoup sur les artistes car ils ont un large public pour faire passer le message. C'est pourquoi on lui enregistrait des cassettes audio, on lui mettait des informations concernant l'histoire et la civilisation”. Les albums s'enchaînent, avec brio, les concerts également. En 1994, après un concert dédié à la musique amazighe dans le prestigieux Opéra Garnier de Paris, les policiers se voient obligés de l'escorter pour la faire sortir des lieux tant ses fans sont nombreux. Les journalistes iront même l'interviewer jusqu'à sa montée dans l'avion !

Les berbérophones aiment les mots. La raïssa attache une grande importance aux thèmes qu'elle développe et à leur formulation. Ainsi, au gré des vers, elle emploie l'awal amazigh, contrairement aux autres raïss ou raïssas qui utilisent uniquement le tachelhit du quotidien. Elle sait pertinemment qu'il faut faire évoluer la langue pour la faire durer. “Tabaamrant est consciente qu'on a besoin d'un amazigh un peu travaillé, ce n'est pas le parler quotidien, il faut aller vers une langue standard, celle de l'école et de la production artistique”, ajoute le chercheur de l'IRCAM.

Une raïssa jalousée

Que ce soit sur scène ou dans les coulisses, confie Omar Ba Jdi, l'un des joueurs de banjo de son groupe, “elle est différente. Elle respecte notre travail et nous écoute attentivement contrairement à d'autres raïss et raïssas avec qui j'ai travaillé auparavant”. Cela lui vaut pas mal de jalousies notamment de la part de ses confrères, comme le note Bouslam Okiya, joueur d'outar et son compagnon de route depuis 13 ans : “Les autres ne croient pas qu'une femme puisse être aussi douée. Ils pensent qu'un homme est derrière tout ça. Pourtant, lors d'un festival de musique amazighe en 1993, ils ont fait profil bas en entendant ses paroles. Quant à Tabaamrant, elle voudrait qu'ils se battent pour écrire de meilleures chansons”. Bien qu'elle soit, depuis longtemps, à l'apogée de son art, “elle a tant de choses à dire que sa carrière peut durer encore de nombreuses années” ajoute Omar. La jeune génération de poètes et poétesses amazighs est-elle prête à prendre la relève ? “Personne pour l'instant n'en est capable car leurs paroles sont dénuées d'intérêt” conclut tristement le joueur d'outar. En apparence l'intéressée, elle, ne se pose pas la question et est prête à exercer son art aussi longtemps qu'il le faudra.


Bio Express.

1962: Naissance dans le village d'Id Naser (sud de Tiznit)
1980: Elle quitte le domicile familial
1983: Première apparition sur scène pour interpréter ses propres chansons
1985: Premier album enregistré avec Mohamed Belkhikh
1996: Création de son studio d'enregistrement personnel, en collaboration avec son mari
2005: Prix de la meilleure chanson amazighe de l'année
2006: Sortie de son dernier album

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